Frontispice de l'Arbolayre - Assemblée de 12 médecins herboristes

« Arbolayre, ça veut dire quoi ? »

Il est grand temps de tout vous dire,
de tout vous expliquer...
de vous le présenter !

 

L'Arbolayre, c’est un livre.

C’est plus précisément un incunablei.

C’est le premier livre imprimé en français sur les plantes médicinales.

Il a été publié en 1486.

C’est le document, mémoire de l’herboristerie, sur lequel je travaille depuis plusieurs années avec Jean-François Astier.

Il représente une source précieuse des savoirs sur la médecine par les plantes, transmise depuis les temps les plus anciens.

Il s’agit d’une compilation des connaissances issues de différents traités de médecine de l’Ancien Monde.

Ces textes proviennent des écrits d’Avicenne (médecin perse 980-1037), de Rhazes (médecin perse 865-965), de ceux d’Isaac Israeli (médecin égyptien 832-932) et plus particulièrement du Circa Instans, la principale œuvre, écrite entre 1150 et 1170 en Italie, de Platearius, l’un des plus célèbres médecins de l’école de Salerne.

Avant l’arrivée de l’imprimerie, ces textes étaient recopiés et illustrés à la main. On parle de manuscrits… et ces manuscrits étaient recopiés depuis d’autres manuscrits, souvent avec des ajouts, des erreurs, et aussi malheureusement des informations non recopiées, et donc perdues...

L’invention de Gutenberg provoque, très progressivement, une révolution dans toute l’Europe dans la deuxième partie du XVe siècle. Sa célèbre bible dite B42, marque les esprits… Ses employés, au fil des ans, se mettent à créer leurs propres imprimeries et transmettent leurs compétences… Les livres imprimés se multiplient et les imprimeries fleurissent à travers toute l’Europe. 

L’Arbolayre a été imprimé d’abord à Besançon (1486), par Peter Metlinger, et a été suivie par deux autres, à Paris, chez Le Caron éditeur en 1498.

Au tout début du XVIe siècle, l’imprimerie prenant son essor il sera ensuite largement reproduit sous le nom de «Grant herbier en Francoys», et se voulait accessible à tous et non réservé aux seuls médecins.

Le livre est structuré comme un dictionnaire médical, classant par ordre alphabétique les «simples» (c’est à dire des ingrédients non mêlés à d’autres substances contrairement aux formules des antidotairesii). Ce sont en majorité des végétaux, quelques minéraux et substances animales.

Pour chaque plante sont données son origine géographique, la partie de la plante utilisée, l’utilisation fraîche ou sèche, la méthode de récolte et de séchage, la durée de conservation, et sous quelle forme la préparer et l’administrer. On trouve aussi sa complexioniii qui va déterminer ses vertus et les maladies concernées.

Le texte est largement illustré par des gravures sur bois provenant d’un herbier allemand, le Gart der Gesundheit (« Jardin de santé »), écrit par Johannes De Cuba, publié en Allemand ancien en 1485 par Peter Schoffer, élève de Gutenberg. Ce que l’on appelait les herbiers à cette époque, les «herbarium» n’étaient pas, comme de nos jours, des collections d’herbes sèches mais des traités de botanique médicale souvent illustrés et coloriés.

Au cours des derniers siècles du moyen-Âge, l’arboliste, puis l’herboliste, et enfin l’herboriste a d’abord désigné celui qui connaît les vertus médicinales des plantes et depuis le XVII°s celui qui vend des plantes médicinales.

Ce nom d’Arbolayre, littéralement « le livre de l’arboliste » nous renvoie à cette tradition millénaire de l’usage des herbes médicinales.

Très vite au cours du XVIe siècle, le livre est tombé dans l’oubli pour de multiples raisons :

1- Les nouvelles découvertes dites scientifiques et la propagation de la pensée cartésienne balayèrent ces écrits jugés comme d’une autre époque.

2- L’Arbolayre, a été publié à un tout petit nombre d’exemplaires, contrairement au Grant Herbier, déjà très diffusé pour son époque (plus de 20 éditions sur quatre décennies !. On ne recense aujourd’hui que 25 exemplaires de l’Arbolayre dans le monde… et seulement 12 pour l’édition princeps (cinq exemplaires sont conservés en France, et la plupart sont incomplets)… Seconde différence, et non des moindres, les phrases de l’Arbolayre, même si elles sont d’une grande complexité à comprendre aujourd’hui sont des phrases entières, avec des mots entiers, contrairement à celles de son successeur, le Grant Herbier, où dès que possible, les éditeurs cherchaient à économiser l’espace et abrégeaient les mots et les phrases à foison, ce qui rend aujourd’hui ces texte quasiment illisibles. On peut supposer qu’à l’époque, ces livres ont été rapidement mis de côté pour cette raison… Preuve en est que ces 20 éditions sont difficiles à recenser car les exemplaires sont rarissimes… 3- L’imprimerie se développant, d’autres ouvrages sont venus remplacer l’Arbolayre. Par exemple, dès 1550, Matthiole publie ses célèbres « commentaires », réédités pendant 200 ans une centaine de fois et dans 8 langues différentes… On estime que 32.000 Matthioli ont été publiés alors. Un record pour l’époque ! 

Nicole Botton

 

 

 

i Se dit d’un livre imprimé en Occident avant 1500.

ii Les antidotaires sont des recueils médiévaux (à partir du XI°siècle) de remèdes composés. En d’autres termes des dictionnaires de formules prescrites par les médecins, et préparées par les apothicaires. Ces recettes pouvaient contenir un très grand nombre d’ingrédients, plus ou moins faciles à trouver.

iii C’est un terme totalement inutilisé de nos jours, alors qu’il était d’une grande signification il y a 500 ans. La complexion résume l’approche synthétique que les herboristes avaient de la plante, prise dans sa globalité. Cette notion est d’autant plus difficile à saisir de nos jours que tous nos raisonnements, depuis l’héritage de Descartes, se basent sur une analyse duelle du monde : +/-, blanc/noir, jour/nuit, masculin/féminin, corps/esprit, etc. Rapportée à la plante, la complexion nécessite de s’extraire d’une vue analytique au profit d’une vue globale, où les parties n’existent que pour enrichir la compréhension, la « cum-préhension », c’est à dire les préhensions multiples qu’on a de la plante et de ses vertus. La notion de « totum de la plante » s’en rapproche le plus dans le langage d’aujourd’hui. On décrit avec erreur de nos jours la complexion comme étant une perception des simples à travers les notions de « froid ou chaud » et « humide ou sec », et selon ses degrés… Cette simplissime lecture que l’on a maintenant de ces notions est biaisée par notre culture scientifique cartésienne… Il faut percevoir de ces notions, non pas des parties ou des caractéristiques, mais des axes de perception, des champs de possibles…

 

 

 

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